Un peintre auvergnat ministre des finances, Etienne Clémentel
« Un tel titre étonnera plus d’un des amateurs d’Étienne Clémentel. L’homme qu’ils connaissent en lui, c’est le parlementaire, le Ministre, le créateur dont les initiatives hardies servent si utilement la grande cause de l’Expansion Française et de la Restauration mondiale ». Ainsi s’exprime Edmond Haraucourt lors de la présentation des cent cinquante œuvres de Clémentel exposées, en novembre1926, à la Galerie Bernheim dont la vente au profit de l’Hôpital de Riom dans le Puy-de-Dôme (Auvergne) allait produire un bénéfice de 280 000 francs de l’époque.
Dans les lignes qui suivent nous ne nous intéresserons pas à l’homme politique, un des plus influents de la Troisième République ; ni au maire ; ni au conseiller général ; ni au député ; ni au sénateur ; ni au ministre des Colonies, du Commerce, de l’Agriculture, du Travail, de la Marine Marchande, des P.T.T., des Finances ; ni, enfin, au président de la Conférence économique des alliés, du Comité exécutif des importations, du Conseil allié des transports maritimes, du Conseil suprême économique…
L’homme de lettres, ami de la romancière Marcelle Tinayre (dont l'époux Jean Julien Tinayre -Issoire 1859 + 1923- est peintre et graveur) et admirateur de Mallarmé dont il sait les vers par coeur et qu'il les récite à Rodin, ou, directeur de la publication du Larousse Commercial Illustré, ne sera pas, non plus, l’objet du présent propos qui est de lever l’ostracisme de toutes les aspirations artistiques d’un élu politique dont on accepte plus facilement la plume, comme violon d’Ingres, que le pinceau : les références à Clémentel ne citent que l’homme politique ou l’homme de lettres.
Seul, l’ami des impressionnistes et plus particulièrement de Claude Monet dont il réalise le portrait en 1926, l’intime de Rodin qui lui consacre sa dernière œuvre et le charge d’être l’un de ses exécuteurs testamentaires, le paysagiste, d’Auvergne et d’ailleurs au gré de ses voyages et inspirations, le portraitiste nous intéresse.
Étienne Clémentel naît le 29 mars 1864 à Clermont-Ferrand en Auvergne, terre celtique ainsi qu’il le soulignera jusqu’à la revendication dans une étude imprimée à Clermont-Ferrand « L’Ame celtique ».
Adolescent, il partage son temps entre les études et les ateliers d’artistes clermontois, le peintre J. Carot dont une vue du "Boulevard Desaix à Clermont-Ferrand" est au Musée de Clermont-Ferrand, et le sculpteur Fulconnis, rêvant d’entrer à l’école des beaux-arts de Clermont-Ferrand. Orphelin de père, il se plie à l’autorité maternelle qui espère une vie moins hasardeuse, l’artiste en devenir cède devant le futur notaire (1889) qui embrassera rapidement la carrière politique dans les années 1890. Son premier mariage avec la fille adoptive d’un artiste auvergnat, Roux, dont les paysages de Royat ornent maintes cimaises privées à l’époque (Les peintres Antoine & Auguste Roux sont cités dans le Dictionnaire Bellier ainsi que dans le "Dictionnaire des peintres paysagistes du XIXe siècle" de Lydia Harambourg, Ides & Calendes, 1985, p.308).
Néanmoins, le crayon ne cesse de titiller l’homme d’état et Clémentel multiplie les portraits charges de ses collègues qui font le tour des Chambres.
Certains de ses collègues parlementaires partagent un jardin secret identique pour l’art. Aussi en 1901, afin de venir en aide aux blessés boers victimes de la guerre du Transvaal, un comité de députés français publie un album « Paris-Pretoria » pour lequel Clémentel propose un dessin « La Dent du Diable (Val d’Enfer, massif du Mont-Dore) » repris dans Le Magasin Pittoresque, en 1903.
Avec son ami le peintre clermontois Pierre-Désiré Franc Lamy (1855-1919), qui partage un temps le cercle de Mme Hector de Callias dite Nina de Villart dont il fit le portrait comme Marcellin Desboutin (1822-1902) un autre habitué des lieux, il pose son chevalet dans les gorges de la Sioule et les montagnes d’Auvergne.
Etienne Clémentel fréquente en amateur averti les artistes fauves et les derniers représentants de l’impressionnisme et se lie, plus particulièrement, avec deux d’entre eux : Claude Monet (1840-1926) et Auguste Rodin (1840-1917).
Passionné par la photographie, il rapporte, de ses séjours à Giverny, une série d’autochromes stéréoscopiques dont le plus célèbre est celui où Monet pose devant sa maison. Le Musée d’Orsay possède 510 des autochromes stéréoscopiques pris par Clémentel suite à un don en 1991, accepté par l'Etat, de Mmes Arizzoli-Clémentel née Marie-Adrienne Clémentel et Barrelet-Clémentel née Marie-Thérèse Clémentel (comité du 13/12/1990, conseil du 19/12/1990, arrêté du 18/01/1991). Le département des Arts graphiques du musée du Louvre conserve un ensemble de vingt sept lettres de Monet adressées à Etienne Clémentel, ministre du Commerce et de l'Industrie du 2 avril 1916 au 26 janvier 1924 (Don en 1988 des mêmes descendants de Clémentel). Le numéro 54 de l’exposition de novembre 1926 est un « Souvenir de Giverny » portrait de Monet réalisé en 1924.Monet et Clémentel classeront ensemble les dessins de l’ami commun, Rodin.
Avec Rodin, les relations sont plus intimes. Le statuaire l’admet dans son atelier où Clémentel remplit plusieurs albums à dessins dont certains sont présentés à l’exposition de Bernheim, récite des vers de Mallarmé que tous deux admirent alors que Rodin réalise le buste de Clémentel, sa dernière œuvre. Étienne Clémentel a fait don de ce Buste, fondu par Rudier (Bronze, patine foncée (1915-1916) H 55 cm L 56 P 31), au Musée de Riom.
D’autres fontes d’après la même épreuve existent à : l’Hôtel-de-ville de Riom, au jardin public de Châtel-Guyon, Musée Rodin de Paris, Musée des Beaux-Arts d’Alger, au Musée d’Art Occidental de Tokyo, Museum of Art de Philadelphie… Cette relation privilégiée est à l’origine de la donation du maître à l’Etat, Rodin le déclarant son exécuteur testamentaire avec Petel et Benedite.
C'est en artiste que Clémentel est invité à l'Exposition Centenaire de l'art auvergnat, tenue place Gaillard à Clermont-Ferrand en 1925 et il y présente des paysages ainsi que des hortensias bleus.
Lors de l’exposition de 1926, Clémentel présente un autre aspect de sa personnalité : le philanthrope qui se démène pour le bien-être social de ses concitoyens. Afin d’aider à l’aménagement de l’hôpital de Riom, il met en vente des vues d’Annecy, La Bourboule, Bruges, Canterbury, Caudebec, Champeix, Châteaugay, Clermont-Ferrand, Combourg, Côte d’Azur, Côte d’Emeraude, Enval, Esher, Eze, Forez, Lac Majeur, Limagne, Menat, Menton, Montferrand, Murols, Nice, Oxford, Paris, Prompsat, Puy-de-Dôme, Riom, Royat, Saillans, Saint-Floret, Saint-Nectaire, Talloires, Thiers, Tournoël, La Turbie, Vals les Bains, ainsi que des études de nus et des portraits.
Avec le même esprit, il soutient l’action de l’Office d’Hygiène Sociale et de Préservation Antituberculeuse du Puy-de-Dôme, et Clémentel édite quelques unes de ses œuvres (Gentilhommière abandonnée en Limagne, A Montferrand, Le Château de Tournoël, Pont du Moustier à Thiers…) ou celles de Jane Bénard Clémentel (Messagère de Santé) sous format de cartes postales distribuées par la société Yvon. Clémentel est le fondateur du Sanatorium, entre Riom et Clermont-Ferrand, qui portait son nom; actuellement, le bâtiment a été transformé en Ecole Régionale d'Architecture.
Etienne Clémentel décède le 25 décembre 1936 à Prompsat (Puy-de-Dôme). Les obsèques eurent lieu le 28 décembre à Prompsat et à Riom dans la chapelle de l'hôpital.
Henry Frichet, son ami d’enfance et rédacteur à la revue L’Art Vivant, constatant que la surintendance des Beaux-Arts ne lui fut jamais accordée, conclut son article ainsi « Les Beaux-Arts lui ont manqué. Il a manqué aux Beaux-Arts ».
La présente notice (créee le 15 novembre 2009 et mise à jour le 30 septembre 2009) s’inscrit dans notre « Essai d’un index des peintres en Auvergne et Bourbonnais (1830-1940) » ; toute information, tout document, écrit ou iconographique, nous intéressent. Contactez-nous par courriel en cliquant sur ce lien ou en recopiant l'adresse dans votre messagerie.
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