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Blog d'HABEO Art et Estampes

Les Évangiles apocryphes, par René Prophéte

Compte rendu de la réunion du 18 septembre 2007du Cercle théologique de Vichy

1.  Le mot. “apocryphe” = “secret”. Terme employé surtout chez les catholiques ; les protestants emploient plutôt “pseudépigraphe” = “mensonger”.

2. On parle des “apocryphes de l’ancien testament”. Édités en langue française dans la “Pléiade” sous le titre plus juste de “Littérature inter-testamentaire”. Ce sont des textes qui ne sont pas entrés dans le canon juif. J’ai donné en photocopie la liste de ces livres avec leur date de composition; ils sont souvent du genre apocalyptique;19 ouvrages dont le livre d’ “Hénoch” cité dans les évangiles-1362 p., auxquels la traduction de la “Pléiade” a ajouté les écrits trouvés à Qùmran (9 ouvrages-464p.). A noter que 2 ou 3 de ces apocryphes ont été acceptés dans la traduction latine de la Vulgate, ou dans la Bible des Églises syriaques. Il faudrait ajouter quelques livres (notamment “Ben Sirac” et “Sagesse”) qui faisaient partie de la Bible grecque, et ont été accueillis par la plupart des Églises, mais refusés par le canon juif, et  les protestants : on les appelle “deutéro-canoniques”.

3. Les “apocryphes du nouveau testament” : la “Pléiade” en a traduit 85 (sur les 346 connus) en 2 volumes totalisant 4.000p.. Composés à partir du 2è siècle et jusqu’en plein moyen-âge. Les plus anciens seuls intéressent les origines chrétiennes. Alors que les livres du nouveau testament sont écrits au 1er siècle, les 19 apocryphes les plus anciens sont du 2è siècle (sauf l’évangile des ébionites, et l’évangile des hébreux).

                        2 motifs à cette production considérable d’Évangiles, d’Actes concernant divers apôtres, de lettres, d’apocalypses :

            a. - la piété populaire qui a voulu compléter les données du nouveau testament. Ainsi de la lettre de Barnabé, datée de 130, pleine de conseils spirituels pour vivre en chrétiens. Ainsi du protévangile de Jacques  qui a donné les noms des parents de Marie : Anne et Joachim, et nourrit la liturgie (fête de la présentation de Marie au temple) et l’art. Ainsi l’évangile du coq très prisé en Éthiopie (Jésus a mangé un coq avant sa passion, et après la résurrection le coq a pu donner de multiples renseignements sur Jésus!). J’ai trouvé à Montluçon une image imprimée vers 1900 en France, reproduisant le vrai portrait de Jésus, tiré d’une lettre de Lentulus au Sénat romain; c’est en réalité un apocryphe du 13è siècle! Certaines Églises se sont données aussi par ce procédé de l’apocryphe des origines apostoliques.

            b. - Un courant philosophique, la “gnose”, se développe à partir du second siècle et va insérer Jésus dans ses réflexions ésotériques. J’ai donné un texte (à lire!) d’une page sur cette pensée combattue par les Églises chrétiennes, et notamment par Irénée, le 2è évêque de Lyon à la fin du 2è siècle.

4. L’évangile de Judas  est un texte grec, de l’an150 environ, écrit par et pour des gnostiques ; l’ouvrage nous était seulement connu par ce qu’en disait Irénée, et l’on vient de retrouver une traduction copte de cet évangile dans les sables d’Égypte. Judas est un gnostique : seul il peut comprendre Jésus, qui lui demande de le faire disparaître de ce monde. Cette inversion des valeurs est un des aspects de la nébuleuse gnostique: ainsi Caïn, le meurtrier de son frère, est-il un héros dans certains livres gnostiques. Notre évangile n’a pas le récit de la Passion : mutilation du manuscrit, ou tout simplement aucun intérêt de l’auteur pour cet épisode. Car le gnostique ne s’intéresse pas à l’histoire humaine, mais à  un autre monde supposé.

5. Intolérance congénitale de l’Église qui a contribué à l’échec du mouvement gnostique par son refus de l’accepter ? - Je comprends le renouveau actuel de l’anticléricalisme, mais attention à ne pas transposer aux premiers siècles de notre ère les problèmes modernes. De 63 à 313, c’est l’Église des martyrs, et le monde gnostique produit des textes fantasmagoriques. Va-t-on villipender les juifs parce qu’ils dénoncent le “Protocole des sages de Sion”, ou la littérature révisionniste ? ou interdire à la franc-maçonnerie de réfuter les accusations gratuites dont elle fut affublée entre 1940 et 1945 ? - Tout mouvement philosophique ou religieux a le droit de définir sa pensée (ce qui n’autorise nullement les autodafés!).

6. Approches historiques. Dans les textes gnostiques du 2è siècle, nous pouvons trouver quelques paroles de Jésus aussi valables que dans les lettres de Paul écrites entre 50 et 65 (les Synopses modernes citent volontiers des textes de l’Évangile de Thomas, ou même quelques textes des Pères des 2è-3è siècles qui auraient conservé des traditions textuelles aujourd'hui disparues. Les 4 Évangiles canoniques eux-mêmes ne permettent pas une chronologie ou une biographie de la vie de Jésus : ils transmettent un message lié à la Résurrection. Mais, à la différence des textes gnostiques, ceux du N.T. s’intéressent à l’histoire humaine de Jésus, comme l’affirme la première lettre de Jean :

Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux,

ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie,

ce que nous avons vu et entendu , nous vous l’annonçons...(Jn1-3a)

7.  Des textes vénérables et vénérés du 1er siècle ne sont pas entrés dans le canon du Nouveau Testament : la Didachèe (qui pourrait dater de l’époque de 1Cor. - an 55), la lettre de Clément de Rome, adressée à l’Église de Corinthe, de l’an 95). Peut-être parce que les témoins qui avaient connu Jésus étaient disparus  (argument ancien, à manier certes avec prudence), ou par accident de l’histoire!

8. Les apocryphes témoignent de la fermentation qui accompagna dans le monde gréco-romain la prédication des disciples de Jésus. Ils ont donc de l’intérêt, mais pas pour trouver enfin la véritable biographie de Jésus!

                        Document : La Gnose

Pour les Pères de l'Église, la gnose est une mouvance théologique qui prend plus la forme d'une nébuleuse que d'une école précise. Le gnosticisme est divers et varié, nous pouvons le définir à partir de quatre éléments communs à la plupart de ses différentes tendances :

- une conception du salut fondée sur l'acquisition d'une gnose, c'est-à-dire d'une connaissance édifiante et divinisatrice qui permet de s'unir à Dieu. La science des mystères secrets garantit l'accès à la foi et au salut;

- un système de pensée centré sur l'homme et sur le chemin qui le conduit au salut. Il lui faut pour cela se débarrasser de la prison du corps et du monde terrestre. La gnose prend souvent les atours d’un dualisme qui oppose le bien et le mal, l'ancien au nouveau, le terrestre au céleste ;

- le dualisme s'applique particulièrement à la Bible en opposant le Dieu de l'Ancien Testament, inférieur, violent et jaloux, au Dieu transcendant dont le Christ est l'image ;

- l'homme est une étincelle divine égarée sur la terre, qui peut trouver, à condition d'être guidé, la voie lui permettant de remonter jusqu'à la lumière originelle dont il est issu.

   L'exemple le plus connu de texte gnostique est l'évangile de Thomas qui annonce dans son introduction : “Voici les paroles secrètes que Jésus le Vivant a dites et qu'a écrites Jude Thomas le Jumeau. Il a dit: "Celui qui trouvera I'interprétation de ces paroles ne goûtera pas la mort."" Nous trouvons tous les thèmes de la gnose : l'enseignement  ésotérique  (les  paroles secrètes), l'initiation (celui qui trouvera I'interprétation) et le but de la connaissance (l'immortalité). Cet évangile présente la particularité de ne contenir que des paroles de Jésus et d'être dépourvu de tout élément narratif. La vie de Jésus importe peu, seule compte la connaissance des choses divines qu'il révèle sous la forme d'un enseignement. Même si nous pouvons être attirés par ce qui est présenté comme des paroles inconnues de Jésus, une lecture attentive révèle que le message est fondamentalement opposé à celui des évangiles bibliques : il induit un refus radical du monde, un mépris du corps et de la sexualité, un rejet du Premier Testament, la "déshistoricisation" totale de la figure de Jésus et la divinisation de I'esprit humain.

    Le gnosticisme est au christianisme ce que la Kabbale est au judaïsme : une spéculation sur l'être de Dieu et une recherche d'un enseignement caché (ésotérique) derrière le message public (exotérique). Aujourd'hui, tous les écrits qui prétendent révéler les secrets du monde, qui ont été cachés jusqu'à ce jour, appartiennent à cette veine.

    Nous pouvons aussi interpréter la gnose comme un antijudaïsme en ce qu'elle récuse le Premier Testament et l'enracinement hébraïque au profit d'une spéculation qu'on peut analyser comme une hellénisation extrême de la pensée chrétienne. Les gnostiques ont souvent cherché la synthèse entre une science chrétienne et les mythes païens, notamment les écrits de Platon.

    Fondamentalement, la gnose est une théologie des oeuvres, elle propose une initiation qui permet d'atteindre le divin par ses propres forces. L'homme a toujours caressé le projet d'être son propre maître, de “contrôler” sa foi et son salut. La démarche de foi est à I'inverse de cette attitude, elle consiste à accepter de plier les genoux et à accueillir Dieu comme celui qui est venu jusqu'à nous. “Accepter d'être accepté tout en  se sachant inacceptable”, disait Tillich. ... Dieu est une grâce à accueillir, ... et non une connaissance à acquérir.

     “La gnose, ce n'est presque plus du christianisme. Ce qu'il y a de chrétien, c'est un certain nombre de mots, un certain nombre de thèmes, mais qui sont repris dans une perspective toute différente.”   

André Benoît

Cf. liste des apocryphes de l’A.T. du Dictionnaire du N.T., de X.Léon-Dufour p.121, 1975.

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